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Jésuites à La Réunion
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Le site des jésuites à La Réunion. La communauté de la Résidence du Sacré-Cœur, les activités de la chapelle de la Résidence et du Centre Saint-Ignace.

« Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise »
Article mis en ligne le 9 février 2019

par Père Stéphane, sj

Nous avons ressenti à partir du 17 novembre 2018 un séisme social d’une intensité jamais connue à ce jour. Une expression l’a immédiatement caractérisé dans beaucoup d’analyses : « C’est une colère profonde qui agite le cœur des Réunionnais aujourd’hui ». La conviction s’est également imposée que quelques mesures prises rapidement ne seraient pas capables de faire retomber cette colère. Il fallait se décider à entreprendre un travail en profondeur, en chacun et collectivement. Un travail de longue haleine, sur une durée proportionnelle à celle depuis laquelle cette colère s’emmagasine et grossit. Il s’agit de plusieurs décennies, en ne remontant qu’aux émeutes de 1991. Depuis cette date, tout laisse à penser que nous nous sommes contentés d’un traitement de surface. Aujourd’hui, clairement, il ne suit plus. Oui mais alors, comment agir ?

Aucune situation sociale n’est équivalente à une autre à travers le monde. Cependant, l’agitation connue par des pays et la manière de la dépasser collectivement peuvent inspirer notre propre réflexion. Il y a eu, en Amérique du Sud, dans l’Europe de l’Est et en Afrique, après des périodes de guerres civiles ou de situations d’extrêmes violences (massacres, tortures, assassinats, viols…) la mise en place, par des gouvernements à peine rétablis, de commissions de vérité, parfois appelées aussi de réconciliation nationale.

Le processus qui vient immédiatement à l’esprit est celui qui s’est déroulé en Afrique du Sud à partir de 1995, présidé par le pasteur Desmond Tutu. Cette présence religieuse au cœur d’un processus de cohésion nationale donne une force particulière aux mots vérité et réconciliation. Elle les situe dans un horizon plus large que celui de la recherche de la justice, de la reconnaissance des victimes et de la condamnation des coupables. L’accent est mis sur le dépassement de la situation de division nationale, sur ce vers quoi tous ont le désir d’avancer sans exclure personne de cette marche en avant. Là est le véritable enjeu : construire une société démocratique dans laquelle la paix et la réconciliation soient promues, la confiance publique dans les institutions rétablie, et qu’une culture de délibération et de droits de l’homme profondément enracinée puisse garantir l’unité du pays. Sur ces critères, il n’est pas besoin d’attendre d’être en guerre civile pour inventer notre propre processus de vérité et de réconciliation. Aucun modèle prêt à l’emploi n’existe car chaque situation particulière a engendré le sien pour répondre le mieux possible aux besoins de sa société. Il convient donc de mettre en regard les critères précédemment énoncés et ce qui caractérise la crise que La Réunion traverse. Notre colère profonde s’exprime à l’égard du modèle de développement de l’île qui s’est pour ainsi dire imposé de soi depuis longtemps. Or depuis les années 1980, nous emmagasinons une quantité d’analyses et de rapports qui contiennent tous les mêmes constats et les mêmes conclusions. Et la même incapacité de nous décider à changer les accompagne, pourquoi ? Peut-être parce que finalement, individuellement et collectivement, nous avons trouvé notre compte dans le modèle que désormais nous décrions. N’est-ce pas là que se cache notre part de vérité ? Si tel est le cas, rien ne changera tant que nous n’oserons pas nous avouer personnellement et collectivement notre consentement, même partiel, avec le système de développement qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui. Oser simplement se dire : « D’autres en ont peut-être plus profité que moi, mais j’ai quand même ma part de responsabilité. N’ai-je pas, par exemple, sollicité auprès du maire un emploi pour l’un de mes enfants, un p’tit contrat ? Ou n’ai-je pas demandé un coup de pouce à un élu pour faire passer mon dossier au-dessus de la pile ? N’ai-je pas encore profité d’une forme de corruption, de détournement de biens publics, par exemple de matériaux de construction, etc. ? » Le reconnaître humblement et mutuellement fait échapper au cercle de l’exclusion, à cette tentation d’exclure des gens pour leur faire supporter et payer on ne sait quoi. A la place, il devient possible de se dire : « Allons réfléchir ensemble, allons ressentir le lien qui est entre nous, plus fort que ce qui nous oppose ». Restera à répondre à la question essentielle : que voulons-nous faire ensemble ?

Photo : pixabay.com

À télécharger :

Un p’tit mot, trois p’tits pas n°97 - février 2019